Colère. Colère depuis que cette saloperie entame sérieusement mon autonomie. Auparavant (entendez par là voici… 15 ans), ce n’était pas difficile de rester sereine ; tant que la maladie n’était qu’un nom sans conséquences dérangeantes sur ma vie, je pouvais « faire avec » puisqu’il s’agissait surtout de « faire sans ». Je me souviens que, naïvement, mais alors là, avec le recul, vraiment naïvement, je m’étais dit, au tout début de la « forte probabilité de sclérose », que si je vivais « normalement » jusque 30 ans, ça irait… Quelle idiote étais-je ! Trente ans, à peine « le début de… ». Idée de gamine alors encore insouciante d’avoir pensé une telle énormité ! Quand effectivement, j’ai eu 30 ans, je me suis dit que ce serait quand même mieux que ça puisse continuer ainsi, vaille que vaille jusque… le plus longtemps possible. Ai-je pensé à l’époque jusque quarante ans ? Je ne me souviens pas. Mes quarante ans, je les ai eus depuis quelques années déjà et je n’ai nulle envie que « ça » n’aille plus…
Colère donc, parfois, souvent, selon les périodes. Colère et révolte. Oui, c’est cela. En colère et en révolte contre ce que je considère être une injustice. Envie de hurler. Ridicule sans doute de voir les choses de cette manière : toute personne malade, souffrant, trouve cette situation injuste, je suppose. Mais quand même. Il me semble n’avoir jamais rien fait de « mal » dans ma vie, j’irais même jusqu’à dire « au contraire ». Impression d’une punition, d’une terrible sanction qui m’étreint pour ne plus jamais me lâcher. Sentence ? Condamnation à perpétuité. Et je sens la colère monter en moi…
Je deviens ainsi parfois (souvent) terriblement intolérante vis-à-vis de ceux qui se plaignent sans arrêt, pour ce que j’appelle des broutilles. Evidemment, la broutille de l’un n’est pas la broutille de l’autre et moi aussi, il m’arrive de « râler » pour des bêtises. Mais combien est-ce dur de compatir aux ennuis bénins des autres quand soi-même on se débat dans « l’essentiel ».
Résultat de cette colère : l’entourage trinque, mes enfants et mon compagnon qui souffrent de leur impuissance face à mon mal-être. Difficile pour eux de subir mes subites variations d’humeur. Je suis ainsi capable de passer, littéralement, du rire aux larmes. Parfois même un rire prolongé peut, si je ne me contrôle pas, dégénérer en eau. Depuis que « ça ne va plus », entendez depuis que j’arrive de moins en moins à mettre un pied devant l’autre pour avancer, même dans la maison, il est des jours où je supporte difficilement que l’on me demande comment ça va. Tout simplement parce que ça ne va pas et ça n’ira plus jamais. Point.
Rage aussi quand je reçois en pleine figure, de la part d’une collègue « bien » intentionnée, l’un ou l’autre « Je me demande comment tu fais ? Quel courage ! A ta place, je ne pourrais pas… » Ah bon ? Et je suis censée faire quoi ? Creuser un trou, m’y cacher et attendre… Attendre quoi, au fait ? Que ça ne passe de toute façon pas ! Alors, pour moi, point de courage, me semble-t-il : juste une question de survie. Je n’accepte pas, je n’accepterai jamais, mais je suis bien forcée de composer avec cette fidèle saleté.
Pourtant, il est des moments où je me sens bien (pile-poil au moment où j’écris ces mots, par exemple), j’imagine que c’est le moral qui « booste » le physique : il faut goûter de tels moments car ils sont rares. Avarice du moral. Combat désespérément inégal. Moments bénis où je me risquerai même à répondre « ça va » à la machinale question rituelle. Moments où je me focalise davantage sur ce que je suis encore capable de faire plutôt que sur tout ce que j’ai perdu. Moments où je vois, les yeux écarquillés, la chance que j’ai d’être encore ce que je suis alors que tant d’autres… A cet égard, les séjours en centre de revalidation remettent bien des pendules à l’heure.
Jusqu’à l’instant où le pas suivant est tellement difficile que je trébuche, où l’équilibre n’a plus de sens que le nom, où la chaise devient essentielle : tout s’écroule et, si je suis seule, les vannes s’ouvrent, libérant le trop plein de ressentiments. Si je ne suis pas seule, bah, elles s’ouvrent aussi… mais direction ma chambre pour pleurer à l’aise, en espérant passer inaperçue… Alors, « il pleure dans mon coeur… »
[Illustration : http://coloriage.gulli.fr/coloriage-Lettre-C%5D
Je viens de lire ton message et je ne peux que saluer ton courage d’écrire ces mots. Je me sens impuissante avec les miens, comme si ne pas vivre ton quotidien ne me donnait pas le droit de te dire quelque chose de réconfortant…
En tout cas, je comprends ta colère (puisqu’il s’agit d’un article sur ce sentiment) et je te souhaite malgré tout beaucoup de courage pour ces jours ou ces moments ou ça ne va pas.
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Merci 🙂
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Tiens, je viens de lire ça!
Quand on fait partie du club depuis au moins 20 ans, il est difficile d’etendre : »de quoi tu te pleinds? »
Enfin, si ça peut consoler quelqu’un, il y a 20 ans, j’étais une bête, je courais 30 km sans broncher, le sport de combat et j’en passe !
Et là, en lisant ça, on se dit mais pourquoi moi et v’la cette colère qui monte.
Mais bon, y’en a qui n’ont même plus chance de pouvoir être en colère!
Le seul problème qu’il y a pour ma part, c’est que je ne supporte plus les plaintes d’autrui.
On fait des teès mauvais malades quand ont veu continuer à vivre! Non?
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