Au pays des kangourous, Gilles Paris

Présentation. « Ce matin, j’ai trouvé papa dans le lave-vaisselle. En entrant dans la cuisine, j’ai vu le panier en plastique sur le sol, avec le reste de la vaisselle d’hier soir. J’ai ouvert le lave-vaisselle, papa était dedans. Il m’a regardé comme le chien de la voisine du dessous quand il fait pipi dans les escaliers. Il était tout coincé de partout. Et je ne sais pas comment il a pu rentrer dedans : il est grand, mon papa. »

Simon, neuf ans, vit avec son père Paul et sa mère Carole dans un vaste appartement parisien au Trocadéro. Mais le couple n’en est plus un depuis longtemps. Paul est écrivain, il écrit pour les autres. Carole, femme d’affaires accomplie, passe sa vie en Australie, loin d’un mari qu’elle n’admire plus et d’un enfant qu’elle ne sait pas aimer. Le jour où Paul est interné pour dépression, l’enfant sans mère est recueilli par Lola, grand-mère fantasque, adepte des séances de spiritisme avec ses amies « les sorcières », et prête à tout pour le protéger.

Dans les couloirs trop blancs des hôpitaux, il rencontre aussi l’évanescente Lily, enfant autiste aux yeux violets qui semble bien résolue à lui offrir son aide. […]

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Mon avis. Pourquoi avoir choisi de lire ce roman ? Pêle-mêle : la couverture que j’aime beaucoup, le titre peu commun, les billets de mimi et Clara et surtout, le tendre souvenir de Courgette que j’ai encore, pas plus tard que cette année scolaire, proposé à mes élèves de découvrir.

Et Courgette m’a d’ailleurs accompagnée, tout au long de cette lecture, non pas comme quelqu’un qui dérange mais plutôt comme s’il était à mes côtés, une main bienveillante posée sur mon épaule. Si je n’ai pu m’empêcher de songer à Icare/Courgette (même si le langage employé par ce dernier était tout à fait différent, très « oral »), c’est en raison du point de vue adopté dans ce récit, celui de Simon, un petit garçon de neuf ans. En réalité, il serait plus approprié, me semble-t-il, d’évoquer LES points de vue parce que même si les (tristes) événements sont racontés par l’intermédiaire de Simon, le ton diffère selon les moments. Tantôt, j’avais l’impression que Simon était beaucoup plus jeune, comme le tout petit enfant qui n’a pas pu être aimé de sa maman comme il aurait dû l’être ; tantôt, les réflexions de Simon cadrent bien avec son âge ; tantôt encore, l’adulte pointe derrière lui.

   « J’aurais bien aimé avoir une petite sœur, mais maman ne veut pas. Elle dit que tout son amour est pour moi. Ah bon ? J’aimerais bien savoir où cet amour-là se cache. D’un autre côté, si elle tenait nos mains, à ma sœur et à moi, comment ferait-elle pour attraper une bougie parfumée sans en lâcher une ? Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que ce serait la mienne et je disparaîtrais pour toujours dans le sol en guimauve. » [p. 27]

Simon raconte de manière (presque douloureusement) imagée et poétique ce que vit son papa, celui en qui il voyait Hulk et qui vient de s’effondrer, terrassé par un être encore plus dangereux qu’un dragon éventuel : lui-même. De dragons, il n’est point question dans le récit mais bien des monstres que craint le petit garçon, ceux qui se tapissent dans les armoires ou sous les lits, et n’attendent qu’un moment d’inattention de l’enfant pour surgir…

   « Par contre, je suis rassuré quand j’ouvre le frigidaire, car les monstres ont peur du froid. Peut-être que papa cherchait à leur échapper quand il s’est caché dans le lave-vaisselle. Je n’ai jamais parlé des monstres à papa et à maman. Quand on est petit, il y a des choses qu’il vaut mieux garder pour soi. Les grandes personnes ne comprennent pas tout. Ou alors elles font semblant d’écouter tout en pensant à autre chose. Ça s’entend au « oui » qui sort de la bouche alors qu’il faut dire « non ». Un jour, j’ai dit à maman que j’allais jeter son portable dans la poubelle verte et elle m’a répondu : « Bien sûr, mon chéri », avant de raccrocher son téléphone. » [p. 33]

Difficile de se retrouver à neuf ans sans papa (hospitalisé), sans maman (partie depuis quelque temps déjà au lointain « pays des kangourous »). Reste heureusement Lola, la grand-mère paternelle de Simon, la mamie aux grenouilles, vieille dame qui sent bon les fleurs et a des amies « sorcières », aussi farfelues qu’elle.

Simon partage alors sa vie entre son séjour chez Lola et les visites à son papa, agrémentées par sa rencontre avec Lily, une enfant mystérieuse qui va apporter au petit garçon des réponses aux questions qu’il n’ose plus poser aux adultes. S’ajoutent aussi les rêves de l’enfant, porteurs de sens, ainsi que les « divertissements » qui (forcément) sortent de « l’ordinaire ».

J’ai été séduite par ce récit, autant que par bon nombre des personnages : Simon lui-même, Lola, Raoul, le chauffeur qui conduit désormais l’enfant à l’école, « ses mains à dix heures dix sur le volant » ou encore Monsieur Propre, ami de Lola.

   « Et maman, elle te manque, papa ? Tu n’as pas dit un seul mot sur elle aujourd’hui.

   Quand une grande personne décide de ne plus parler d’un souci, elle l’enterre si profond que personne n’ose proposer sa pelle.

   Est-ce à cause de maman que tu t’es caché dans le lave-vaisselle ? Aujourd’hui, tu as moins de rides sur le front quand tu lèves un sourcil. Est-ce la longue absence de maman qui te fait du bien ? » [p. 167]

Beaucoup d’émotion donc pour moi à travers ce livre ; des thèmes qui m’ont touchée. Un coup de cœur.

Simon rejoint Courgette…

6 réflexions au sujet de « Au pays des kangourous, Gilles Paris »

  1. J’ai été très touchée par ce roman et je compte bien relire « La courgette » que j’ai lu il y a très longtemps, pour lui faire une place sur mon blog. Comme toi, j’avais relevé cette phrase, qui m’a vraiment émue « J’aurais bien aimé avoir une petite sœur, mais maman ne veut pas. Elle dit que tout son amour est pour moi. Ah bon ? J’aimerais bien savoir où cet amour-là se cache. » D’ailleurs, en faisant mon billet, j’avais envie de tout citer ou presque =D
    Sinon, une question me reste et je vais donc te la poser (attention, lecteurs ne lisez pas la suite si vous n’avez pas lu le roman, gros SPOILER). C’est au sujet de Lily. Personnage auquel je n’ai PAS DU TOUT accroché. Raison principale : le décalage total entre son petit être et sa façon de parler et ses réflexions très adulte. Alors j’ai échafaudé une hypothèse qui expliquerait cette incohérence qui m’a gênée : ne penses-tu pas que Lily pourrait en fait être l’esprit de la maman de Simon, qui veille sur eux, en expliquant la situation à son fils et en soufflant des mots dans le sommeil de son mari ?
    Bref, mis à part, Lily, comme tu me l’avais prédit, j’ai bcp apprécié cette lecture !

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  2. Je n’avais pas du tout pensé à ça ; pour moi, il s’agissait plutôt d’une espèce d’amie imaginaire mais il est vrai alors que dans ce cas-là, il n’est pas non plus possible de faire « coïncider » son âge et son langage alors qu’avec ta proposition, cela le devient 😉

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  3. Je vois plutît Lily comme un être imaginaire et bienveillant mais en aucun cas comme l’esprit de sa mère car je me suis trop persuadée qu’elle ne l’aimait pas .. c’est surtout ça qui m’a rendu la lecture difficile.

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