Les larmes de Pancrace, Mallock

Présentation. Jean de Renom, propriétaire d’un grand cru classé, est sauvagement assassiné dans son château du Bordelais. À la stupéfaction générale, son épouse, la douce et aimante Camille, est accusée puis incarcérée. Le scandale est d’autant plus retentissant que cette dernière n’est autre que la fille de Sophie Corneille, candidate favorite à la prochaine élection présidentielle.

Au-delà des conflits d’intérêts et des luttes de pouvoir, le fameux commissaire Mallock découvre que d’autres drames entachent l’histoire de cette famille. Plus il creuse, plus les énigmes et les crimes remontent à la surface. Noyades, empoisonnements, meurtres, les racines du mal sont bien plus profondes qu’il n’aurait pu l’imaginer. Depuis sept siècles, depuis qu’un certain Pancrace a fait couler le sang, que la peste a ravagé la région, une malédiction semble avoir envahi le château et ses occupants…

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Mon avis. Une plongée dans la canicule qui imprègne les pages à tel point que l’on a l’impression de voir l’air chaud faire trembler les « images » ; chaleur accablante émaillées d’orages crevant le ciel : un cadre adéquat pour raconter cette histoire qui transcende les âges…

Mallock est en vacances à Andernos-les-Bains mais les criminels, eux, œuvrent sans relâche. C’est ainsi que Gilles Guédrout, désormais commissaire divisionnaire à Bordeaux, fait appel au célèbre héros du Fort, afin de l’aider à (tenter d’) y voir clair dans un meurtre qui concerne « du beau monde », propriétaires de vignobles renommés. Or Gilles connaît très bien la victime ainsi que son épouse, que tout accable ; désireux de ne pas se laisser influencer par les liens qui l’unissent au couple, il demande l’aide de son ancien supérieur.

J’ai retrouvé avec grand plaisir Mallock, heureuse de refaire un bout de chemin en sa compagnie, qu’il s’agisse du personnage ou de l’auteur d’ailleurs, dont la plume est toujours aussi savoureuse, croquant des tableaux qui prennent vi(gn)e par le biais des mots.

  « Dehors, le soir sentait la bergamote. Sous une grande tente, un orchestre massacrait les airs les plus connus de ces dernières décennies. Tubes éculés, slows langoureux d’étés passés. Partout, la foule se pressait. Odeurs, bruits, lumières, tout était trop fort, trop clair, aimablement vulgaire. Ce petit monde avançait au corps-à-corps, à la même vitesse, déambulation estivale, T-shirts, paroles criardes, pieds médusés ou sabotés de plastique, rires forcés, joie programmée, en un mot, tout ce qu’un Mallock détestait. Mais, pour une raison qu’il n’avait jamais essayé de comprendre, il avait fini par trouver du charme à ce jour-là, le 14 juillet, fête nationale. Seul dans sa bulle, presque heureux de marcher, presque normal, parmi les hommes et les huîtres. » [p. 59 – 60]

  « Dans les sols caillouteux et pentus du Corfeu, la plante pouvait, lors de fortes canicules, souffrir de stress hydrique. Mais cette année, si tout se passait bien, elle apporterait rondeur et notes épicées. Une bonne chose pour le cœur-corneilles, qui manquait souvent de tanin et de longueur en bouche.

   Pour la millième fois depuis le début du mois, Félicien, le maître des vignes, s’accroupit pour saisir une poignée de terre entre ses doigts. Il l’émietta, la regarda, la sentit, puis la goutta. Quelques poussières vite recrachées, comme il ferait plus tard avec le jus carmin qui sortirait de ce même sol marneux, mélange d’argile et de calcaire. » [p. 114]

 

Mallock va tâcher d’ôter les voiles qui recouvrent cet homicide, couche après couche, triturant les faits et les apparences afin d’en tirer la « substantifique moelle ». Presser chaque grain de raisin, en quelque sorte. Rassembler les innombrables pièces d’un immense puzzle.

  « Comme d’habitude, son intelligence et sa réflexion allaient devoir ramer, avec leurs seuls petits muscles, pour rattraper ses intuitions, voguant majestueusement sur les fleuves régaliens de l’hypothèse de haut vol. » [p. 73]

 

Guédrout et Mallock marchent sur des œufs car la mère de la meurtrière présumée n’est autre que Sophie Corneille, candidate à la prochaine élection présidentielle, une femme de caractère (!), habituée à s’imposer à tous, sans s’en laisser conter.

Le récit est émaillé de chapitres qui plongent dans un passé médiéval lié à Pancrace, premier détenteur des vignobles ; des pages qui éclairent l’ensemble, petit à petit.

La fin m’a beaucoup émue lorsque l’inimaginable, que j’avais soupçonné mais (aussi vite) écarté car impensable, se lit noir sur blanc…

J’ai autant aimé ces Larmes de Pancrace que Le cimetière des hirondelles ; j’ai apprécié découvrir les multiples ramifications de la pensée « mallockienne » ainsi que le monde vinicole et les nombreuses incursions dans le passé. Et même si je ne fais pas les choses dans « l’ordre », je lirai prochainement Les Visages de Dieu.

L’avis de Sophie, pour cette lecture commune.

Ce livre entre dans le challenge « Un genre par mois ».

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