Place des Ombres, après la brume, Véronique Biefnot & Francis Dannemark

Présentation. 1980, place de la Montagne aux Ombres. Égarée dans les brumes d’une ville étrange, Lucie, étudiante en lettres, entre dans une herboristerie tenue par un très vieil homme, au rez-de-chaussée d’un immeuble ancien. Soixante-dix ans plus tôt, des événements tragiques ont marqué ces lieux. À son insu, en s’installant dans la demeure, la jeune femme va réveiller les démons d’autrefois, au péril de sa vie. Son amie, Maud, découvrira-t-elle la clef du mystère qu’elle-même n’a pas trouvée ?

Vingt ans plus tard, il ne reste que des souvenirs de ces semaines bouleversantes. Le passé semble bel et bien enterré, mais plusieurs drames viennent de frapper coup sur coup la famille de Maud. Une nuit, perdue dans le parking souterrain d’un hôtel, elle rencontre un homme taciturne, au nom et au comportement peu ordinaires…

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Mon avis. « Atmosphère, atmosphère », bel et bien « une gueule d’atmosphère »…

Ce récit est de nouveau né d’une collaboration entre Véronique Biefnot et Francis Dannemark, après La route des coquelicots et Kyrielle Blues ; l’exercice est cependant cette fois quelque peu différent puisque précédemment, il s’était agi de récits à quatre mains ; présentement, si les quatre mains demeurent d’actualité, c’est plus précisément deux plus deux puisque Véronique Biefnot a écrit (La) Place des Ombres et Francis Dannemark, Après la brume.

Verdict : j’ai préféré les romans précédents, même si j’ai encore passé un bon moment.

(La) Place des Ombres se centre d’abord sur Lucie, une jeune étudiante en lettres qui, par un étrange concours de circonstances, est amenée à « koter » au dernier étage d’une mystérieuse maison ; le rez-de-chaussée en est occupé par un vieil herboriste apparemment subjugué par la chevelure de la jeune femme ; au premier étage vit une dame âgée, clouée dans une chaise roulante.

L’atmosphère qui se dégage des lieux et qui entoure les protagonistes est lugubre, oppressante, anesthésiante même, et malgré son prénom, Lucie est loin d’entrevoir la lumière au bout de ce qui s’apparente à un tunnel : les murs eux-mêmes étouffent l’étudiante qui s’étiole lentement mais sûrement, hantée par des cauchemars qui la laissent pantelante, à l’image des Fleurs du Mal, recueil de Baudelaire qui ne la quitte jamais.

« Filer dans le parc dès la fin des cours devint vite une habitude. Dépassée par l’agitation des citadins, elle avait besoin de retrouver la compagnie apaisante des arbres et l’immuable sérénité des pierres. Et chaque jour, elle s’aventurait un peu plus loin, explorant les rues qui entouraient cet îlot de verdure au cœur de la ville et la menaient vers des quartiers où de vieilles demeures assoupies avaient connu des jours meilleurs. […]

   Réalisant son erreur, elle voulut faire demi-tour en empruntant une ruelle. Celle-ci l’amena dans un quartier inconnu. Une légère brume entourait d’un halo jaunâtre les lampadaires qui venaient de l’allumer. Lucie essaya de se calmer, de voir dans cette escapade une opportunité de découvrir la ville, pourtant son cœur s’emballait et une petite voix obstinée lui reprochait son imprudence. » [p. 23]

 

Des événements insolites surviennent, de plus en plus fréquemment, et l’angoisse étreint Lucie ; elle est cependant quelque peu rassurée par la présence d’Élie, un grand chien noir surgi de nulle part (!) et qui semble veiller sur elle. Jusqu’à ce que…

La deuxième partie voit arriver Maud, l’amie de Lucie, jusque-là évoquée en pointillés, la vie ayant instauré de la distance, dans tous les sens du terme, entre les deux jeunes femmes. C’est à partir de l’arrivée de Maud que le récit a pris pour moi une autre dimension : j’ai en effet peu apprécié la personnalité de Lucie car il est vrai que j’ai toujours un peu de mal avec les personn(ag)es qui subissent les événements au lieu d'(essayer de) se battre… Maud va tâcher d’aider Lucie à « s’en sortir », mais peut-être est-il déjà trop tard…

Après la brume commence vingt ans plus tard avec cet « homme de l’ombre » que vient de rencontrer Maud ; cette fois, c’est sur cette dernière que le sort (?) semble s’acharner depuis un an : elle a perdu son mari ; son fils Vincent « souffre d’une maladie si rare qu’elle n’a pas de nom, en tout cas les médecins ne sont pas d’accord sur le nom à lui donner. » [p. 276] ; son père « perd la boule » et commence à devenir un danger tant pour lui-même que pour les autres. Maud navigue à vue dans son existence malmenée…

Inévitablement resurgissent les souvenirs survenus vingt ans auparavant, qu’elle croyait/espérait enfouis à tout jamais. La frontière entre le réel et l’irréel semble s’amenuiser. L’angoisse sourd des pièces du château racheté par le père de Maud.

Il faut attendre la fin de ce diptyque pour que s’assemblent les pièces de cet immense puzzle qui trouve son origine dans un lointain passé et que la lumière éclaire (enfin) d’un jour nouveau lieux et personnages, humains – je retiens particulièrement Émile Marage, l’instituteur retraité – ou animaux – un/le chien noir, entre autres-.

  « Elle jeta un œil sur le siège arrière. Le chien ne dormait pas. Il la regardait. Impossible de savoir ce qu’ils racontaient, ces yeux-là. L’histoire de la pluie, peut-être, où tout se noie. D’où tout renaît. » [p. 328]

Comme toujours la plume est très belle, ou plus exactement les plumes sont très belles ; quoi de plus normal quand Baudelaire imprègne les pages, lui qui souhaitait « extraire la beauté du mal » ?

Merci aux auteurs pour le livre et la dédicace.

 

Ce titre entre dans le challenge « Littérature de l’imaginaire »  (15/24) et « Objectif du mois » (en juin : lire un livre écrit par un auteur – deux en l’occurrence – ayant la même nationalité que le lecteur).

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