Mordre le bouclier, Justine Niogret

Présentation : Castel de Broe. Six mois ont passé depuis la mort de Noalle et Chien du heaume, anéantie par la perte de ses doigts, s’abîme dans la contemplation de sa griffe de fer, cadeau de Regehir le forgeron. Bréhyr entend lui redonner vie et l’entraîne sur les routes à la recherche du dernier homme qu’elle doit tuer : Herôon. Parti en Terre sainte, celui-ci reviendra par le Tor, une tour mythique où le monde des vivants s’ouvre à celui des morts. Les deux guerrières remontent alors le sillage de sang, de larmes et de pourriture des croisades, arpentant côte à côte la voie de la folie et de la vengeance. Dans ce calvaire, Chien rencontrera Saint Roses, chevalier à la beauté d’icône, au savoir de maestre et dont la foi s’est érodée au pied des hautes murailles de Jérusalem. Une faible lueur qui annonce peut-être un espoir de rédemption.

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Mon avis ?  Au préalable, un grand merci aux Éditions Mnémos qui m’ont permis de découvrir sans attendre la suite de Chien du Heaume.  J’ai retrouvé Chien comme l’on retrouve une connaissance perdue de vue quelque temps auparavant.

L’atmosphère lourde, oppressante, est encore bel et bien présente et la flamboyance de la couverture, toujours aussi belle (à nouveau l’œuvre de Johann Bodin, alias YOz), est à l’image (c’est le mot !) de la violence, de la douleur, de la souffrance, ressenties par les héroïnes, mal-être palpable qui suinte par tous les pores…

Point de grandes et belles aventures ici non plus, hormis une quête de soi, à moins qu’il ne s’agisse plutôt d’une acceptation de soi, de ce que l’on a été, l’on est et l’on sera, ce qui suppose d’inévitables renoncements.  Tant pour Chien que pour Bréhyr, la frontière est ténue entre « bon sens » et ce que l’on peut éventuellement nommer « folie », dans un monde ravagé par l’idée d’un Dieu au nom duquel bon nombre sont partis semer la mort au loin…

Une plume toujours extrêmement savoureuse, minutieuse, colorée ; des phrases qui transportent dans cet univers âpre où tourments et cauchemars de chacun des personnages transparaissent sans qu’il soit forcément besoin de parler, sauf quand, de temps à autre, survient le temps « des palabres ».

   « La nuit tomba sans que la grande guerrière soit revenue.  Chien se roula dans sa cape, au pied d’un arbre, et regarda se coucher le soleil entre les branches et les troncs, le long filet orange de sa lumière allant se poser sur les mousses et les buissons, glissant à la façon des anguilles.  Elle se demanda si elle pourrait enfin dormir ailleurs que sur le sol brut.  L’idée d’une auberge lui faisait tourner la tête, tellement le désir brûlait fort. Chien s’était toujours dressée à ne pas avoir envie, à ne point vouloir, puisque tout lui était retiré, puisque rien ne lui était donné.  Elle ne connaissait presque mie de l’intérieur de sa cervelle, et pourtant elle savait que tout y bougeait en chaos depuis la maison de sa mère ; que ce qui y vivait courait en tous sens, se cognant aux murs, se blessant, avide de trouver sa nouvelle place, de savoir s’il en avait seulement une.  Chien, malgré les idées qu’elle s’était façonnées depuis ces années, voulait une nuit au chaud, au sec, une nuit à dormir sans avoir à penser, ou à savoir qu’elle pensait.  Elle songea encore à ce que lui avait demandé Bréhyr ; ce que serait son histoire une fois qu’elle posséderait son nom.  Eh bien, cela ressemblait à un tas de fumure laissé en plein soleil, et chaque pensée était une mouche bleue bourdonnant assez fort pour donner l’envie de se percer le crâne pour ne plus rien entendre. » [p. 70-71]

J’ai préféré ce deuxième opus au premier, en raison sans doute de la « douloureuse épaisseur » accordée aux personnages, tant Chien que Bréhyr, tant la Petite, l’arbalétrière, que Saint Roses, chevalier à la jambe unique, tous deux temporaires compagnons d’infortune des deux femmes…

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