La liste de mes envies, Grégoire Delacourt

Présentation. Jocelyne, dite Jo, rêvait d’être styliste à Paris. Elle est mercière à Arras. Elle aime les jolies silhouettes mais n’a pas tout à fait la taille mannequin. Elle aime les livres et écrit un blog de dentellières. Sa mère lui manque et toutes les six minutes, son père, malade, oublie sa vie. Elle attendait le prince charmant et c’est Jocelyn, dit Jo, qui s’est présenté. Ils ont eu deux enfants, perdu un ange, et ce deuil a déréglé les choses entre eux. Jo (le mari) est devenu cruel et Jo (l’épouse) a courbé l’échine. Elle est restée. Son amour et sa patience ont eu raison de la méchanceté. Jusqu’au jour où, grâce aux voisines, les jolies jumelles de Coiff’Esthétique, 18.547.301€ lui tombent dessus. Ce jour-là, elle gagne beaucoup. Peut-être.

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Mon avis. C’est une amie et collègue qui m’a prêté ce (court) roman en me disant que je « devais » le lire même si, a priori, il ne m’intéressait « pas plus que ça ». Merci Isabelle, j’ai vraiment passé un bon moment en compagnie de Jo ; je devrais dire en compagnie des « Jo » même si la « version masculine » est (très) peu attirante…

En réalité, ce n’est pas tant l’histoire que j’ai appréciée mais la plume de l’auteur, extrêmement délicate ; les phrases sont souvent courtes, percutantes, tellement pleines d’un sens mélancolique, voire douloureux.

Jo, elle sait que sa vie n’est pas celle qu’elle avait rêvée mais elle s’en contente et se construit des petits bonheurs quotidiens même si son mari qui « ressemble à Venantino Venantini, le beau gosse qui jouait Mickey le bègue dans Le corniaud » mais « a dix kilos de plus et un accent loin de faire s’étourdir les filles » [p. 15], même si la communication semble rompue avec son fils, même si sa fille vit trop loin d’elle.

   « La finesse, la légèreté, la subtilité des mots, il ne connaît pas bien. Il n’a pas lu beaucoup de livres ; il préfère les résumés aux raisonnements ; les images aux légendes. Il aimait bien les épisodes de Columbo parce que dès le début, on connaissait l’assassin.

   Moi, les mots, j’aime bien. J’aime bien les phrases longues, les soupirs qui s’éternisent. J’aime bien quand les mots cachent parfois ce qu’ils disent ; ou le disent d’une manière nouvelle. » [p. 31 – 32]

Dans cette ville d’Arras, elle écoute les potins débités par les jumelles coiffeuses, elles ont « toutes trois l’impression d’être les trois personnes les plus importantes du monde.

   Enfin, d’Arras.

   De la rue, en tout cas. » [p. 23]

Elle rend aussi régulièrement visite à son papa qui « perd la tête » : durant six minutes, il est tout à elle, elle peut lui parler sans qu’il perde le fil de ce qu’ils échangent. Après six minutes, les compteurs sont impitoyablement remis à zéro. Tout est à recommencer. Des tranches de « nouvelle vie » à réinventer. Comme si sa femme était toujours là…

   « Je suis passée voir mon père.

   Après qu’il m’eut demandé qui j’étais, il réclama des nouvelles de maman. Je lui dis qu’elle faisait des courses, qu’elle passerait un peu plus tard. J’espère qu’elle m’apportera mon journal, dit-il, et de la mousse à raser, je n’en ai plus.

   Je lui ai parlé de la mercerie. Et il m’a demandé pour la centième fois si c’était moi la patronne. Il n’en revenait pas. Il était fier. […] puis il a relevé la tête, m’a regardée. Qui êtes-vous ?

   Qui êtes-vous ? Six minutes venaient de passer. » [p. 51 – 52]

Ce sont ces pages relatives à son papa qui m’ont le plus touchée…

La vie de Jo change soudain lorsqu’elle se rend compte qu’elle a gagné 18.547.301 euros et 28 centimes à l’Euro Millions ; oh, pas extérieurement car elle tait la chose à son entourage et sa réaction n’est pas (forcément) celle qu’on attendrait : elle commence à faire des listes, les listes de ses envies…

Après ? La vie continue, ou paraît continuer, à tout le moins…

Je m’attendais à un récit « léger » mais la mélancolie en imprègne les pages et les mots arrivent à rendre joliment cette douce amertume…

La seule chose qui m’a quelque peu « tracassée », c’est que je ressentais l’impression que Jo voulait se convaincre qu’elle était heureuse, sans l’être réellement, mais ce ne devait probablement pas être le cas ; sans doute étais-je en train de projeter mon propre regard sur « son Jo ».

Une belle lecture. Vraiment.


La couverture de ce livre entre dans le challenge des 170 idées organisé par Helran (19 : quelque chose qui se fabrique – et sert d’ailleurs ensuite à son tour à « fabriquer »).

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