Toutes les choses de la vie, Kevin Canty

Présentation. Comme chaque année, June et RL se retrouvent le long de la Blackfoot River, une bouteille de Johnnie Walker à la main, pour célébrer l’anniversaire et la mémoire de Taylor, mort onze ans plus tôt. June a été son unique amour, RL son ami d’enfance.

Mais ce jour-là, décidée à prendre un nouveau départ, June déclare qu’elle ne sera plus jamais « la veuve de personne ». Divorcé, père d’une fille de vingt ans, et un peu paumé, RL sait secrètement qu’il est, lui aussi, à un carrefour de son existence. Et qu’il ne tient qu’à lui de lui donner un sens. Surtout lorsqu’il voit resurgir son amour de jeunesse, Betsy, une femme aux abois qu’il se met en tête de sauver…

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Mon avis.

Une parfaite adéquation, selon moi, entre le titre, la couverture et les histoires racontées de ce récit tendre et âpre à la fois.

Le lecteur passe auprès des personnages sur la pointe des pieds et découvre subrepticement des tranches de vie de l’un ou l’autre, de l’un et l’autre. Carrefour de l’existence…

C’est June qui ressent désormais le poids de la solitude ; ou RL qui s’interroge sur le sens de ce qu’il (n’) a (pas) accompli ; ou encore Layla, la fille de RL, qui tente de couper une relation qui ne lui apporte le plus souvent que souffrance.

Je me suis laissé apprivoiser par l’écriture particulière qui peut déconcerter au début en raison de la manière sont retranscrits les dialogues : ils s’insèrent dans la relation sans les tirets habituels, seul l’espace blanc entre ce qui suit et ce qui précède en est l’indice.

Le temps s’écoule lentement, sans heurts autres que les réflexions suscitées par les (non-) relations nouées avec ceux qui comprennent à mi-mot. Ou ne comprennent pas.

La nature inscrit également sa présence au milieu des mots ; et puis s’en vient l’idée que le passé ne peut retrouver ses heures de gloire : il « suffit » peut-être d’essayer de vivre le présent…

 

  « June dit : Les gens meurent de ne pas voir le ciel la nuit, tu sais ?

   Ils ne meurent pas de ça.

   Ils meurent au fond d’eux-mêmes, et ils ne le savent même pas.

   Mais ils n’en meurent pas. Ils deviennent seulement insensibles.

   Pas moi, dit-elle. […] » [p. 20]

 

  « Il se rassit en face d’elle et observa son visage tandis qu’elle cherchait quoi lui dire et comment. Dehors, la pluie froide d’automne tombait sur les buissons, sifflait dans l’herbe et ruisselait le long des trottoirs. C’était une nuit à rester chez soi, et maintenant que Betsy était là, RL était content de sa compagnie. Ce n’était pas une nuit à être seul. La brûlure dans sa gorge se transforma en chaleur dans son ventre et irradia lentement dans ses bras, ses cuisses et sa tête.

   Je ne sais pas, dit Betsy. Je n’ai pas envie d’en parler.

   Tu as l’air en forme.

   Oui, je me sens bien. Je me lève tous les jours à cinq heures moins le quart, je sors traire les chèvres, je conduis les gosses à l’école puis je vais courir. Je prends soin de moi. Je me sens en forme. Je ne me nourris que de produits sains.

   RL fit tinter son verre contre le bocal de whisky et dit : Content de savoir que c’est bon pour toi.

   Tu vois ce que je veux dire.

   Oui, dit-il. Ce n’est pas juste.

   Ça n’est pas le problème, dit-elle. J’ai cessé d’y penser la dernière fois. Rien n’est juste.

   Elle s’interrompit et eut l’air si triste et seule que RL eut envie de prendre soin d’elle, de lui préparer une soupe ou de l’envelopper d’un plaid. Il la sentit peser sur lui, alors, comme un corps s’alourdit au point de devenir inerte. » [p. 73 – 74]

 

  « Puis vinrent les jours éclatants de l’automne. Les mélèzes se couvrirent d’or dans le haut pays, or sur vert, et les feuilles des peupliers de Virginie dérivèrent le long de la rivière, revêtues de toutes leurs couleurs. Incapable de résister davantage, Edgar alla jusqu’à Rock Creek avec son matériel de pêche enveloppé dans du plastique et pêcha d’une seule main par un glorieux après-midi, s’avançant dans l’eau claire et froide. La pêche en soi ne lui posa pas de problème, sauf que tout cafouillait dès qu’il avait une prise, et qu’il y avait une éclosion d’insectes et quantité de poissons affamés le long de chaque berge. » [p. 107]

Un beau texte. Vraiment. Simplement.

 

Traduction : Anne Damour.

 

Merci à Babelio pour ce partenariat ; ce roman constitue ma 10e lecture dans le cadre du challenge « Lire sous la contrainte ».

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2 réflexions au sujet de « Toutes les choses de la vie, Kevin Canty »

  1. Un roman qui m’a touchée, que j’ai lu doucement, en me laissant peu à peu imprégner par l’écriture et l’histoire ..:-)

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