Un peu plus près des étoiles, Rachel Corenblit

Présentation. Mon père m’avait prévenu : si tu rencontres les patients d’ici, tu ne fais pas de commentaires, tu réagis le plus poliment possible. Tu risques d’être surpris, mais surtout tu es diplomate, tu ne montres rien à ces pauvres gens. Ils ont déjà tellement souffert. Tu vas en croiser pas mal, ici, des abîmés, des malheureux et il y a même un secteur pour les enfants et les grands ados. »

– Hé, cache ta joie, Machin. C’est super romantique comme rencontre. Manque plus que les violons, non ?

Un ado solitaire. 7 gueules cassées.
Une histoire d’amitié étourdissante, loin des apparences.

Couverture Un peu plus près des étoiles

Mon avis. Un coup au cœur…

Coïncidence (?) :  après le Club des cinq éclopés évoqué il y a peu, à destination des jeunes lecteurs, voici le Clan des sept gueules cassées auquel est confronté Rémi, un adolescent « sans domicile fixe » en raison de la profession de son père : médecin généraliste remplaçant. Docteur Sylvestre, pour ceux qui ont connu la série.

   « Dans ma vie, j’ai déménagé dix-neuf fois. En dix ans, ce n’est pas mal du tout.

   Quand j’étais plus petit, je ne réalisais pas. […]

   Je vais avoir quinze ans. Je crois que je détiens le record mondial de changements d’adresse. La France, je la connais. Ses montagnes, ses plaines, ses rivières, ses églises, ses places de la mairie, ses routes départementales, ses centres commerciaux, ses salles des fêtes municipales.

   Ses hôpitaux surtout. » [L’aventurier, 1982, Indochine – Égaré dans la vallée infernale… -, p. 13 – 14]

Rémi n’en peut plus de ces « déracinements » intempestifs, mais il ne peut rien y faire : sa grand-mère – qu’il adore – est trop âgée pour qu’il puisse vivre chez elle et sa mère n’est définitivement plus en état de s’en occuper. « Cerise sur le gâteau » : les relations avec son père sont réduites à leur plus simple expression : de rares paroles échangées quand ils « se croisent ». La plupart du temps, l’adolescent s’isole avec son Walkman et dix cassettes des années quatre-vingt, « héritage » de sa mère à cet égard, le titre des chapitres, comme celui du roman, correspond chaque fois à une chanson des années quatre-vingt -. Cette fois, direction « le Jura. L’air frais. Le bon fromage. On ne connaît pas. » [idem, p. 20 ]

   « Une forteresse posée sur un mont, entourée d’arbres remparts, peuplée par des malades et des handicapés que mon père allait soigner, par la force des pouvoirs qui lui étaient conférés ». [Travailler c’est trop dur, 1986, Julien Clerc – Et voler, c’est pas beau… -, p. 42]

Rémi y est confronté à la dure réalité de la (sur)vie puisqu’il y croisera un groupe d’enfants/adolescents ayant subi des traumatismes tels qu’ils sont profondément – dans tous les sens du terme – marqués dans leur chair.

   « Ils étaient réunis, un club de défigurés. Si on avait voulu réaliser un film d’horreur sans avoir besoin d’effets spéciaux, il aurait suffi de venir faire un casting dans cette pièce. » [The magnificent seven, 1980, The Clash – Move y’self to go again… -, p. 52]

La « rencontre » est d’abord impossible ; elle s’avère ensuite (très) difficile car la « meneuse », à savoir « la fille au visage détruit » manie l’ironie, l’autodérision, « l’encarapacement », la souffrance… comme personne.

   « Ses yeux bleus étaient immenses. Des yeux qui auraient pu être magnifiques. C’est ce que j’ai pensé, à ce moment : elle avait des yeux qui auraient pu être parfaits, des yeux d’une couleur unique, d’une forme parfaite, mais tout le reste, ce massacre, ce ravage, ce n’était pas humain.

   Alors, son visage s’est déformé. Je veux dire, encore plus déformé qu’il ne l’était. Un truc atroce. Ses joues se sont soulevées. J’ai vu les tendons apparaître, tout un mécanisme de rouages jouer sous sa peau qui se tordait, se dépliait, se déployait. J’ai réalisé que c’était une sorte de sourire. Voilà, elle souriait, et son sourire était une grimace atroce. J’aurais aimé m’enfuir, comme un lâche qui court devant un fantôme, une vision d’horreur, pour ne plus la contempler.

   – Hé, cache ta joie, Machin. C’est super romantique comme rencontre. Manque plus que les violons, non ? » [Mala vida, 1988, Mano Negra – Tu me estás dando mala vida… -, p. 10 – 11]

   « – Je suis d’accord. Il peut rester avec nous, Rémi Machin. On va voir s’il est aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est pas gagné. » [Tous les cris, les SOS, 1985, Daniel Balavoine – Pour te dire que je me sens seul… -, p. 129]

Rémi réussira à approcher le groupe, mais ses propres réactions « instinctives » sont parfois à mille lieues de ce qu’il estime devoir/pouvoir faire. Difficile d’être confronté à une différence de cet acabit ; difficile d’affronter le regard de ces êtres en souffrance ; difficile d’affronter le regard des autres sur lui aux côtés de ces « monstres ». D’autant plus difficile quand le mal-être personnel que l’on croyait bien enfoui ne demande qu’à lui éclater à la gueule…

   « Je n’étais pas forcément quelqu’un de bien. » [Beds are burning, 1987, Midnight Oil – How can we dance when our earth is turning… – p. 89]

Un récit qui met le doigt là où cela fait mal, sans jamais tomber dans le pathos, et que je vous recommande chaleureusement.

Un grand merci aux éditions Bayard pour ce partenariat.

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