J’irai tuer pour vous, Henri Lœvenbruck

Présentation.

Je suis la balle dans votre fusil.
C’est vous qui tirez, c’est moi qui tue.

1985. Alors que Paris est frappé par des attentats, Marc Masson, un déserteur, est rattrapé par la France. Recruté par la DGSE, il est officiellement agent externe mais, officieusement, il va devenir assassin pour le compte de l’État. Alors que tous les Services sont mobilisés sur le dossier libanais, les avancées les plus sensibles sont parfois entre les mains d’une seule personne…
Jusqu’à quel point ces serviteurs, qui endossent seuls la face obscure de la raison d’État, sont-ils prêts à se dévouer ? Et jusqu’à quel point la République est-elle prête à les défendre ?
Des terrains d’opérations jusqu’à l’Élysée, des cellules terroristes jusqu’aux bureaux de la DGSE, Henri Lœvenbruck raconte un moment de l’histoire de France – qui résonne particulièrement aujourd’hui – dans un roman d’une tension à couper le souffle.

Mon avis. Un « roman » à lire. Un coup de/au cœur…

Je suis la balle dans votre fusil.
C’est vous qui tirez, c’est moi qui tue.

Deux phrases qui expriment tout. Y compris l’indicible. Cet indicible qui, pourtant, occupe toute la place…

Focus sur Marc Masson, mercenaire en « mission » en Argentine pour une société privée après avoir fui la France. Officiellement déserteur. Officieusement baroudeur. Ou l’inverse…

   « Marc, les mains croisées devant la taille, mais tous les sens en éveil, se mit légèrement en retrait, à l’exact opposé de son binôme, prêt à intervenir. Il avait déjà analysé machinalement toute la scène, le nombre approximatif de protagonistes, la configuration des lieux, les endroits où s’abriter, les itinéraires d’évacuation possibles… […]

À la première rencontre, on voyait aussitôt dans les yeux de Marc Masson que c’était un homme qui avait connu la mort, et qui l’avait donnée. Il avait dans le regard cette lueur triste et grave, cette sapience silencieuse, cette assurance sombre, celles des gens qui connaissent sur la vie et sur la mort ces choses crues que la plupart des hommes n’ont pas envie de connaître. La douleur, la violence et la finitude. » [p. 15 – 16]

Le « souci », c’est que le jeune homme ne s’en tient pas forcément toujours à la mission qui lui a été assignée. C’est ainsi que les choses vont « déraper », « juste » parce qu’il a regardé « la mère et la fille, recroquevillées de l’autre côté de la cellule » [p. 18].

Ce « malencontreux épisode » va conditionner à jamais l’existence du jeune homme puisque, conséquence inattendue, il sera par la suite recruté par la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure et cela, dans un contexte historique tendu : une vague d’attentats particulièrement meurtriers à Paris, couplée à la détention des otages français au Liban: des noms et des visages que personne n’a pu oublier… Quel travail de documentation le récit a-t-il dû demander !

Après un entrainement particulièrement intensif (!), à tous points de vue, Marc Masson se mue en Matthieu Malvaux, ou plus exactement il devient Matthieu à Paris tandis qu’il demeure Marc à Lyon ; Matthieu « l’invisible » lors des missions « inavouables » qui lui sont confiées vit « en binôme » avec Marc, chauffeur poids-lourd, en couple avec Pauline, la jeune libraire qui, peut-être, l’aidera à exorciser ses démons. Peut-être.

   « Parfois, les Services peuvent avoir besoin de voir disparaitre une personne qu’on ne peut pas… neutraliser autrement. […]

    – Qui donne l’ordre ?

    – Officiellement, personne. La règle d’or, c’est qu’il ne peut exister aucune trace entre vous et nous. Mes collègues ne connaitront même pas votre identité. […]

    – C’est une histoire de confiance, Marc. Vous resterez entièrement clandestin. Des identités fictives, pas de consigne écrite, pas de rapport, pas de comptabilité, mais surtout, pas de protection : si les choses tournent mal, on ne peut évidemment pas invoquer les conventions de Genève sur ce type d’action. Les agents clandestins sont tout seuls, point final. En cas de problème, les Services ne s’impliqueront jamais. » [p. 202 – 203]

À cet égard, les pages relatant son « séjour en Autriche » sont poignantes.

    « Pas de dommage collatéral, avait exigé Masson le jour même où il avait accepté de suivre sa formation.

    Il se frotta le visage, luttant contre la panique. C’était seulement sa deuxième mission, et il se retrouvait déjà au-devant d’une possible catastrophe. Son pire cauchemar menaçait de se réaliser devant ses yeux. »  [p. 434]

Indépendamment du « personnage » principal, il en est un autre qui retient particulièrement l’attention : Olivier, « l’officier traitant » de la nouvelle recrue, à la fois acteur de l’ombre et de la lumière. Entre ces deux-là se noue, à l’encontre des principes autorisés, une relation particulière.

Le récit est régulièrement entrecoupé d’extraits du carnet rédigé par le jeune homme, carnet dans lequel il « dépose » ses pensées les plus intimes, ses doutes, ses interrogations, ses craintes. Des pages qui lèvent un coin du voile sur une personnalité complexe et profondément révoltée par l’injustice, quelle qu’elle soit.

   « La solitude ne m’a jamais dérangé. Elle est un reposant exil où s’extraire des regards, et il faut souvent être seul pour être vraiment libre, ou au moins pour penser librement. […]

    Néanmoins, chaque fois que j’ai eu un ami, je lui ai tout donné. Tout, comme si c’était une évidence. En amitié, ce qui n’est pas donné est perdu. Cela a toujours été mon exigence. L’homme pour lequel je ne serais pas prêt à mourir, je ne serais pas digne de me dire son ami. » [p. 178]

Le dernier extrait est sublime et a embué mon regard…

   « Ce roman est inspiré d’une histoire vraie, celle d’un agent clandestin français. Il est le fruit de longs mois d’entretien avec celui-ci, et avec certains de ses anciens « collègues ». Dans un souci de confidentialité, le contexte historique de son incroyable parcours a été transposé de quelques années, lors d’un autre épisode singulier de notre histoire, et la vie privée des personnages a été en partie romancée. Certains noms et lieux ont été modifiés.

   À travers le récit de cet homme de l’ombre, c’est à tous les soutiers de la gloire – ceux que l’histoire ne retient jamais et qui donnent pourtant à notre liberté le prix de leur propre vie – que ce livre a voulu rendre hommage, ainsi qu’à toutes les victimes d’attentats, de quelque pays qu’elles soient. » [Avant-propos]

Un grand merci aux éditions J’ai Lu pour ce partenariat ; si j’ai beaucoup aimé Nous rêvions juste de liberté, j’ai adoré J’irai tuer pour vous. Je vous le recommande. Assurément.

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