Lost man, Jane Harper

Présentation. Après des mois de silence, Nathan et Bub Bright se retrouvent sur la frontière séparant leurs ranchs, au cœur des étendues arides et suffocantes de l’outback australien. Leur frère Cameron gît à leurs pieds, mort de soif. Son véhicule, retrouvé un peu plus loin, contenait pourtant toutes les provisions nécessaires.
L’enfant du milieu – le favori – avait récemment repris la propriété familiale. Nathan et Bub vont y retrouver ceux qu’il a laissés derrière lui : sa femme, ses filles, leur mère, quelques employés. Alors que commence la période de deuil, Nathan se met à avoir des soupçons, qui le forcent à remuer de terribles secrets de famille. Car si quelqu’un est responsable de la mort de Cameron, les suspects se comptent sur les doigts d’une main…

Lost man

Mon avis. Un très beau texte…

Après avoir lu récemment Sauvage et Canicule voici quelques années, je n’ai pas tergiversé et me suis lancée dare-dare dans Lost man, qui, soit dit en passant, n’a rien à voir avec Alex Falk. Ce fut une excellente idée.

J’y ai retrouvé la chaleur intense de Canicule : Nathan et son fils (Ale)xander retrouvent Bub, le frère de Nathan, près de la tombe du stockman, là où un hélicoptère a repéré le corps de leur frère Cameron. Ce dernier a quitté la ferme familiale l’avant-veille ; il était censé réparer une antenne à Lehmann’s Hill, soit bien loin de la tombe en question. Comment diable s’est-il retrouvé à cet endroit, desséché sous la cagnard australien alors que sa voiture disposait de toutes les ressources nécessaires pour affronter la chaleur ?

« Nathan savait. La terre où ils vivaient était celle de tous les extrêmes. Ici, les gens allaient soit très bien, soit très mal. Il n’y avait pas d’entre-deux. Et Cam n’avait rien d’un touriste. » [p. 21]

« Partout où portait le regard, ces terres se déployaient sans fin, ouvertes et profondes, jusqu’au désert. Une mer de néant, parfaite. Si quelqu’un cherchait l’oubli, c’était le bon endroit où le trouver. » [p. 66]

J’ai beaucoup aimé ce récit qui, à travers le point de vue de Nathan, le mal aimé, épluche une à une toutes les couches de la vie de son frère afin de faire surgir, bribe par bribe, les non-dits, dans un monde âpre où les apparences sont trompeuses et où chacun observe, mais se tait. Difficile de recueillir des informations et pourtant, même s’il serait peut-être préférable pour « le bien de tous » de ne pas faire la lumière sur ce drame, Nathan n’aura de cesse de creuser, encore et toujours, avec l’aide (inattendue) de son fils…

« – Il allait vraiment mal ?

– Difficile à dire.

L’expression de Harry changea imperceptiblement. Mais elle resta indéchiffrable. » [p. 74]

Davantage encore que dans Sauvage, c’est la psychologie des personnages qui est décortiquée et « l’enquête », très vite informelle puisque rien n’indique un homicide éventuel, en devient presque secondaire. Chacun ou presque, dans cette famille et à la ferme, recèle sa part d’ombre, et pourrait avoir voulu se débarrasser de Cameron, loin d’être « bien sous tous rapports ». L’atmosphère est pesante, renforcée par les dingos dont les hurlements se font entendre de manière récurrente ; Nathan marche constamment sur des œufs, d’autant qu’il est devenu, des années auparavant, un paria.

 » La communauté n’avait pas tardé à infliger son châtiment. Un conseil municipal exceptionnel, et atroce, avait été convoqué, lors duquel Nathan avait lu un texte d’excuse devant soixante paires d’yeux accusateurs. Il était nerveux, et son discours avait sonné maladroit et creux, même à ses propres oreilles. Il avait essayé d’expliquer la pression qui pesait sur lui, à cause de la bataille dans laquelle il était engagé pour la garde de son enfant. Ce n’était pas une excuse. Même en flammes et à moitié mort vous-même, vous étiez censé vous arrêter pour aider celui qui en avait besoin. Aucune raison au monde ne pouvait justifier l’acte qu’il avait commis. […]

Plusieurs mois après l’incident, en se réveillant un matin, Nathan avait été frappé par l’étrange calme qui régnait dans sa propriété. Il était resté allongé sur son lit, troublé et angoissé, et alors, il avait compris : il était tout à fait seul. […] On l’avait bel et bien chassé, et il se retrouvait comme un naufragé à la dérive. » [p. 163 – 165]

« Nathan expira brusquement. « Merde. » Cela faisait plus de vingt ans qu’il n’avait pas entendu ce nom. Il lui fallut creuser profond pour déterrer ce souvenir enfoui et poussiéreux, qui, traversant les années, se dessina peu à peu dans sa mémoire. Et alors, non seulement le nom de cette femme lui rappela quelque chose, mais il déclencha une alarme sous son crâne. » [p. 193]

« La mise en garde dans la voix de Liz était évidente. Dehors, les dingos s’étaient remis à hurler. Ils avaient l’air tout proches. » [p. 233]

Je n’ai pu m’empêcher de songer aux récits de Steinbeck ou d’Ellory dans lesquels l’être « humain » est souvent abordé à travers sa complexité et ses nuances… quelles qu’elles soient.

Je vous le recommande chaleureusement…

Traduction (anglais – Australie) : David Fauquemberg.

Titre VO : The lost man (2018).

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